Le Chamanisme et les Chamans
Le chamanisme ou shamanisme est une pratique centrée sur la médiation entre les êtres humains et les esprits de la nature (les âmes du gibier, les morts du clan, les âmes des enfants à naître, les âmes des malades à ramener à la vie, etc.)
Le chaman (ou shaman) se représente comme l’intermédiaire ou l'être intercesseur entre l'Homme et les esprits de la nature. Il a une perception du monde que l’on qualifie aujourd’hui d’holistique dans son sens commun ou animiste. Le chaman est à la fois « sage, thérapeute, conseiller, guérisseur et voyant ». Il "est" l'initié ou le dépositaire de la culture, des croyances, des pratiques du chamanisme, et d'une forme potentielle de "secret culturel". On le trouve principalement dans les sociétés traditionnelles ancestrales où il arbore des parures et pratique dans le secret.
Le rôle est assumé par des hommes ou des femmes avec des fonctions très variées dans les sociétés traditionnelles, incluant la direction de la tribu, l'élaboration et la direction des rituels, la guérison par sa connaissance des plantes ou une action psychique directe, l'enseignement, le conseil; ces rôles sont souvent combinés.
Le chamanisme chez les Sherpas
Dans l’ensemble du Népal, les chamanes ou dhami-jhankris occupent une place essentielle dans la vie religieuse et culturelle, en s’incarnant dans des groupes très différents et en faisant coexister le chamanisme avec d’autres religions. Des groupes comme les Kham-Magars, apparaissent comme de véritables « sociétés chamaniques », d’autres n’ont adopté du chamanisme que certaines pratiques, qui demeurent marginales par rapport à des systèmes de croyances englobants (comme l’hindouisme).
Chez les sherpas, la présence de l’institution chamanique, quoique manifeste, est pour sa part très problématique. La littérature spécialisée a en effet largement relayé l’idée que la religion des sherpas était essentiellement – sinon exclusivement – fondée sur le bouddhisme. Lorsque les Sherpas se sont installés dans le nord du Népal au début du XVIe siècle, ils y ont en effet implanté l’école rNing-Ma du bouddhisme tibétain, qu’ils observent avec plus ou moins d’assiduité. Les textes ethnologiques (rédigés par des professionnels ou pas) n’accordent dans ce sens qu’un intérêt très relatif aux autres formes de croyances et de pratiques magico-religieuses, si ce n’est pour mentionner leur existence marginale ou le rapport de subordination dans lesquelles elles se trouvent par rapport à la « grande » tradition qu’est le bouddhisme.
Quelle que soit son origine, tibétaine (pour Robert Paul), indienne, (pour Geoffrey Samuel), népalaise, ou indéterminée, pour tous ceux qui n’ont pas exploré la question, la majorité des spécialistes s’accorde pour voir dans le chamanisme une forme « archaïque » de religion chez les Sherpas. Cette disparition annoncée, progressive mais inéluctable du chamanisme sherpa, présente tous les traits d’une confrontation, à son désavantage, avec une double modernité : celle, indigène, relevant des rapports du chamanisme sherpa avec d’autres traditions locales ; celle, importée, qui s’inscrit cette fois dans la confrontation du même chamanisme avec les idées et les modèles culturels de l’Occident, notamment dans la sphère thérapeutique.
Les Sherpas ont longuement pratiqué un bouddhisme « populaire », de lamas mariés et vivant au cœur des villages. La construction des grands monastères, au début du XIXe siècle, consécutive à des changements économiques, a conduit à l’alignement de ces formes populaires sur un monachisme orthodoxe, bien moins enclin à tolérer la présence des chamanes. Le déclin (temporaire) du chamanisme a ainsi été formulé comme relevant soit de la pression exercée par le bouddhisme pour absorber son rival local (Sherry Ortner), soit par l’influence de traditions religieuses locales – le chamanisme sherpa aurait été concurrencé et digéré par des formes de chamanisme népalais (Robert Paul). Selon la théorie d’Ortner, tout se serait joué dans la conquête (politique) de la société sherpa par le bouddhisme, une tradition plus tardive, organisée autour d’un puissant appareil monastique, fondée autour d’un corps social massif, d’un corpus doctrinal structuré, et donc une religion plus « moderne » que le chamanisme, lequel ne repose que sur le charisme de ses spécialistes et leur inventivité dans le domaine magique.